Mes entretiens
Revue Terre à ciel : Entretien avec Clara Regy
Première rencontre
Une question un peu abrupte pour commencer peut-être : quelle place occupe la poésie dans votre "existence"?
Je dirai volontiers que la poésie occupe une place centrale dans mon existence, qu’elle en occupe le « cœur », dans la mesure où elle se situe – avec le symbole – à la croisée de mes différentes activités, passées et présentes. J’écris des poèmes depuis l’enfance, de manière décousue mais finalement relativement régulière puisque cette forme d’écriture est toujours de retour… Chacune des épreuves intimes que j’ai pu traverser a exigé de moi, pour être surmontée, un recours (j’allais dire un « secours ») poétique. Couvrir des pages entières de poèmes s’est révélé vital, notamment à l’adolescence. C’était un jardinage intérieur : je creusais ma terre intime, la débroussaillais, l’aérais afin d’y faire éclore des paradoxes nourrissants, où l’absurdité apparente s’effaçait au profit du mystère, où le cœur retrouvait sa lueur, son désir, un moteur bien vivant… Chaque fois qu’il m’a été donné d’affronter un épisode douloureux, j’ai retrouvé l’écriture poétique, ou plutôt : elle m’est naturellement revenue. Par ailleurs, qu’il s’agisse de mon métier (je suis professeure de lettres), de mon activité d’écrivaine et de créatrice de jeux de connaissance de soi, ou encore de mes lectures, c’est le genre littéraire qui vient à moi le plus spontanément. Dans ma profession, je suis bien sûr amenée à travailler la poésie à un certain moment de l’année et j’éprouve chaque fois une vive curiosité au moment de faire écrire mes élèves : c’est dans ce cadre que certains d’entre eux, réfractaires au système, se révèlent sous un jour inattendu. De même, lorsque je rédige des essais ou des articles de revue, c’est toujours à propos de poèmes ou de prose poétique (j’ai commencé par l’œuvre de Colette). Quant aux trois jeux de connaissance de soi que j’ai créés (tous publiés aux éditions du Souffle d’Or), ils puisent également à la source de la poésie : le texte poétique ou le poème est destiné à venir ouvrir l’espace intérieur du lecteur-joueur pour amoindrir son activité mentale et lui permettre de redescendre dans son corps physique et émotionnel, voire dans cette région plus profonde que je qualifie de « spirituelle ».
Quels liens tissez-vous ou avez-vous tissés entre la poésie et la spiritualité ? Quel(s) sens faites-vous, d'ailleurs, porter à ce dernier mot ?
J’ai rencontré la spiritualité très précisément en l’an 2000, durant l’été. (J’aime me rappeler que cette rencontre s’est produite sous le signe d’un soleil à son zénith et à l’aube d’un nouveau millénaire !) Cela ne signifie pas qu’elle ait été totalement absente jusqu’alors. Cela veut juste dire que je l’ai croisée comme l’on aborde un ami familier et pourtant inconnu, pour reprendre une formule de Supervielle. Je venais de me plonger (presque par hasard) dans un livre de Matthieu Ricard traitant d’astronomie et de philosophie bouddhiste : L’Infini dans la paume de la main – Du big bang à l’éveil. L’auteur y dialoguait avec un astrophysicien. Cette lecture m’a foudroyée : j’ai vécu ce que l’on appelle une conversion – c’est-à-dire une révolution intime, un renversement de tous mes repères. Et en même temps, je n’en étais pas étonnée : c’est comme si je me réveillais enfin. Ce que je découvrais alors, je le savais confusément depuis toujours. L’évidence venait me rendre visite sous la forme d’un choc bienheureux, d’un bouleversement si total que j’ai vécu toute la semaine qui a suivi cet événement intérieur dans un bain de joie profonde, inaltérable. A cet instant, j’ai su que jamais plus je ne reviendrais en arrière : jamais plus les quelques années d’athéisme que je venais de vivre ne se représenteraient devant moi. Quelque chose de radical s’était produit. Cela n’avait rien à voir avec une quelconque croyance religieuse. Cela ne portait pas de nom, ne se référait pas au catéchisme appris dans mon enfance, mais cela existait d’une manière prodigieusement réelle.
Je pourrais dire qu’il s’agissait d’une conviction profonde, venue du plus profond de mon être… Cette profondeur me racontait que la matière des choses, dont notre corps fait partie, était aussi conscience, que la mort faisait partie du processus de la vie au titre d’un simple passage, d’une métamorphose parmi d’autres. Plus encore, je sentais que la conscience n’avait d’autre lieu qu’ici et maintenant, l’instant toujours renouvelé où se déploie cette interdépendance (des choses et des êtres) que l’on ne peut appréhender qu’en acceptant de sauter hors de la pensée. C’est pour l’essentiel ce vertige de l’esprit, pourtant parfaitement rassurant, que j’ai éprouvé jusque dans mon corps. A mes yeux, cette épreuve bénéfique relevait précisément de l’expérience symbolique définie par Maurice Blanchot. J’ai pu, par la suite, revivre maintes fois cette évidence intime, dans d’autres contextes – notamment celui de l’ashram dirigé par le regretté Arnaud Desjardins.
Dès lors, j’ai compris pourquoi tous les textes sacrés, quel que soit le dogme qu’ils ont pu engendrer malgré eux, étaient rédigés dans ce que j’appelle la langue de la poésie, la seule qui soit capable de dire l’indicible de telles expériences, par les moyens privilégiés de la métaphore et de l’oxymore. Je voyais clairement que s’ils voulaient décrire le monde réel, tous les mots courants qui définissent notre existence d’une manière plate et définitive devaient ainsi être révisés, retraversés par un souffle différent, qui puisse les rendre poreux, plus attentifs à leurs antonymes. Quant aux poèmes que je griffonnais depuis longtemps (et que je jetais régulièrement !), je m’apercevais, à présent, qu’ils avaient souvent eu l’antenne tendue vers cela que je venais de vivre. Je ne peux vous en dire davantage, tant ce que j’évoque ici relève de l’expérience intime, en deçà du langage de la communication. C’est ce que j’ai tenté de relater dans le poème “Froissement bruissement de feuilles accordées…”
Vous " travaillez", l'expression est peut-être mal choisie, sur le rêve ; vos textes seraient-ils alors des rêves éveillés ? N'y trouve-t-on pas souffle et mystère ?
J’ai toujours été frappée par le fait que le « rêve » ainsi dénommé par Jules Supervielle relevait en fait d’une expérience bien plus concrète que ce que nous appelons « état de veille » : « Rêver, c’est oublier la matérialité de son corps, confondre en quelque sorte le monde extérieur et l’intérieur. […] quand je vais dans la campagne le paysage me devient presque tout de suite intérieur par je ne sais quel glissement du dehors vers le dedans, j’avance comme dans mon propre monde mental. » (Naissances.) Par « matérialité du corps », Supervielle entend surtout cette clôture, cette frontière rigide à laquelle l’individu assimile généralement les contours de son enveloppe physique. Lorsque, plus tard, j’ai découvert les exercices spirituels de Douglas Harding (j’ai eu la chance de rencontrer ce sage âgé de 96 ans un an avant sa mort), je n’ai pu manquer de faire le rapprochement entre ce que Douglas nous faisait pratiquer et ces phrases de Supervielle : la limite que nous interposons entre l’intérieur et l’extérieur est avant tout une convention intellectuelle. L’expérience vécue, si nous marchons dans la campagne, nous dit tout autre chose… Nous sommes alors obligés d’appeler « rêve » ce qui serait plutôt de l’ordre de ce « réveil » dont je parlais plus haut. Ecrire poétiquement oblige à modifier le sens usuel que nous assignons aux mots, y compris celui du rêve.
Dans les années qui ont suivi 2008, j’ai bénéficié de la formation menée par Marc-Alain Descamps, éminent psychanalyste : outre le fait qu’il a laissé une cinquantaine d’ouvrages, il fut aussi l’élève direct de Robert Desoille, l’inventeur de cette discipline que l’on appelle le « rêve éveillé ». Grâce à lui, j’ai pu vérifier que cet état de « rêve » est apte à nous introduire dans l’étoffe d’une réalité subjective que nous ignorons le plus souvent : notre monde intérieur, organique et psychique, dont Supervielle, encore lui, avait une conscience très vive (on sait peu qu’il a influencé en ce sens l’œuvre de son ami Henri Michaux). Ce monde du dedans, s’il est nettoyé, au fil des rêves éveillés, de ses obsessions morbides, ouvre l’accès au monde dit « extérieur ». C’est à mon sens par cette sorte de rêve conscient – un état de conscience modifié – que la poésie se laisse guider lorsqu’elle permet l’entrée dans la chair du monde. Le souffle de la respiration et le mystère d’un espace qu’on ne peut qualifier ni d’extérieur, ni d’intérieur, sont, comme vous l’avez pressenti, deux lieux privilégiés et indissociables, où mon poème peut s’écrire.
Si Jules Supervielle semble être au cœur de votre vie, quels sont les auteurs qui l'accompagnent, qui vous accompagnent ?
Il est vrai que les poèmes de Supervielle et les notes en prose qu’il écrivait pour expliciter sa démarche ont durablement éclairé ma conception du geste poétique. J’ai découvert ce Prince des poètes durant mes études supérieures, en tombant amoureuse de sa nouvelle intitulée « Le Bœuf et l’âne de la crèche », dans L’Enfant de la haute mer, dont la prose entière est de pure poésie. Dès lors, je me suis lancée dans la lecture de ses recueils, jusqu’à fréquenter assidûment toute son œuvre poétique.
Et pourtant, ce n’est pas Supervielle qui m’avait tout d’abord attirée. Au collège et au lycée, j’aimais Ronsard et Hugo. En classe de seconde, je me suis immergée dans les textes étranges d’Yves Bonnefoy, de René Char, de Saint-John Perse, d’Henri Michaux…, dans les Illuminations de Rimbaud également. Notre professeur nous lisait longuement ces poèmes sans nous les expliquer, provoquant chez moi une imprégnation qui a joué un rôle déterminant dans ce goût que j’ai développé pour les œuvres poétiques, surtout celles des 20e-21e siècles. J’aimais ne pas comprendre, entrer dans la profondeur de l’énigme, sentir que mes habitudes mentales étaient court-circuitées et que d’autres fonctions, plus vitales et fondamentales, entraient en action… Je me laissais introduire dans un autre monde qui était aussi ce monde-ci, mais plus unifié que l’autre, avec ses ramifications insoupçonnables, au-delà des apparences cloisonnées par la vision que la société nous inculquait. A cette époque, et pendant des années, j’ai lu et aimé aussi d’autres poètes : Baudelaire, Mallarmé, Eluard, Aragon, Jaccottet, Guillevic et d’autres, beaucoup moins connus, comme Henri Dufor…
Après mon long parcours dans l’œuvre de Supervielle, j’ai été amenée à visiter une œuvre empreinte d’une remarquable « verticalité » : celle de Roberto Juarroz. Et puis, j’ai rencontré Pierre Dhainaut, qu’une de mes amies m’avait invitée à contacter. Si je suis tentée d’associer ces poètes si différents, c’est qu’ils ont tous deux, à peu près à la même époque, fait écho à ma recherche spirituelle. A la lecture d’Introduction au large, j’ai été séduite par la quête de l’inachevé, l’intuition de l’infini et cette aspiration de l’être individuel, fût-il immense poète, à abandonner ses contours, ceux qui le séparent du monde, pour se joindre à tous les souffles de l’univers, dans l’aventure toujours renouvelée du sens, du geste d’écrire inséparable de la respiration. J’ai eu le bonheur de rencontrer l’homme, dans sa chaleureuse simplicité. Notre amitié a maintenant plus de 15 ans.
Ces deux dernières années ont été consacrées à l’étude de l’œuvre de Raymond Farina, dont j’avais découvert il y a plus de 30 ans l’admirable recueil intitulé Archives du sable, lu et relu, et si aidant, bien avant que je ne songe à explorer le reste de son œuvre. J’ai fini par entamer une correspondance avec ce grand poète, qui m’a guidée dans ma quête avec patience et bienveillance.
Bien entendu, je lis et j’aime d’autres poètes, que je présente chaque week-end sur la page Facebook « Le Miroir d’or ». Parmi ceux-ci, Isabelle Lévesque occupe une place particulière : non seulement je l’ai rencontrée, mais j’ai aussi lu plusieurs de ses recueils et je corresponds avec elle ; j’admire son écriture déroutante et j’aime sa passion de vivre en poésie. C’est d’ailleurs à son attentive générosité que je dois d’avoir osé proposer mes poèmes, il y a peu, à la lecture…
Le livre "objet" ou l'objet "livre", une passion nouvelle? Quand cela a-t-il commencé ? Pouvez-nous nous l'expliquer ?
Ce n’est pas une passion nouvelle. Là encore, Pierre Dhainaut a joué un rôle précieux : c’est lui qui m’a fait découvrir les livres d’artistes. Toujours généreux, il m’a offert ses recueils en grand nombre ; et parmi ceux-ci, sans même chercher à me le faire remarquer, il glissait volontiers des ouvrages plus rares, imprimés sur un beau papier, pliés ou illustrés d’une manière que je découvrais totalement, permettant ainsi à mon goût de l’objet-livre de se développer. Il faut dire que cet amour des livres un peu particuliers avait commencé très tôt, dès l’enfance, dans la grande bibliothèque de mes parents, où figuraient des ouvrages de toutes époques. Certains d’entre eux, se distinguant par un format, une reliure ou un parfum particuliers, dataient du 19e, du 18e et même de la fin du 17e siècle. Par ce contact précoce avec le livre tangible, respirable, avec un papier plus épais, creusé par une encre ancienne, mes lectures s’accompagnaient chaque fois d’un éveil de sensations. J’ai une passion pour les manuscrits enluminés du moyen âge et les livres, anciens ou non, ornés de gravures ou de peintures. Et régulièrement, j’éprouve le besoin d’empiler sur ma table de chevet plusieurs de ces livres qui portent chair et âme, une couverture-toison, des pages bruissantes dont la texture appelle l’attention et le contact des doigts. L’émotion qui me vient si je feuillette, par exemple, un recueil de Jacques Roman publié aux belles éditions Isabelle Sauvage, surgit d’une qualité de silence produite par la contemplation de la page immaculée où le poème s’inscrit à son aise, dans un espace plus ample que d’ordinaire. Les livres d’artistes – je pense aussi aux superbes réalisations de Géry Lamarre – permettent au lecteur de s’attarder entre les lignes du poème et à ses côtés, par le choix longuement mûri de certains vers, d’un texte à la fois raréfié, sur lequel l’attention peut donc se concentrer, et entraîné dans un mouvement qui l’amplifie : le dialogue muet avec l’œuvre visuelle qui l’accompagne. De tels ouvrages permettent de lire autrement la poésie, de rendre la lecture plus prégnante, mieux incarnée. Le livre d’artiste est un compagnon de route pour qui est attaché au fait que la poésie puisse vivre en lui et orienter son cheminement vers sa propre lumière.
Et enfin la question finale : si vous deviez définir la poésie en 3 ou 4 mots, quels seraient-ils ?
J’aime cette question parce qu’elle oblige à cerner l’essentiel. Je vais y répondre en me centrant sur la poésie telle que je l’envisage lorsque je l’écris. Je vous proposerai, pour ne pas dépasser quatre mots (en trichant un peu !) : Ma langue libre ici-maintenant.
« Ma », parce que l’écriture commence forcément avec moi, le sujet que je suis, tel que l’a forgé une histoire personnelle. Le mot « langue » renvoie à la fois à l’objet linguistique – la poésie est une langue à part entière – et à l’organe physique qui intervient nécessairement : je ne peux me satisfaire de mes vers qu’une fois validés par le rythme de ma diction orale. « Libre » ? Je n’écris de poésie que pour me libérer de conditionnements mentaux et langagiers. Et dans le dernier mot composé, c’est le tiret qui importe le plus : cette frêle jonction entre « ici » et « maintenant », c’est l’espace-temps très précis, si je m’y inscris vraiment, où je regagne ma double patrie : le réceptacle de mon corps et celui du monde ; c’est en ce point infime que je peux me réunifier et que ma singularité rejoint l’universel. C’est là que ma langue (re)découvre son alliance avec d’autres paroles, d’autres règnes que le mien… Celui-ci est si minuscule, si éphémère, qu’il ne vaut rien sans cet accord qui tout à la fois le dépasse et le fait exister.
Revue Terre à ciel : Entretien avec Clara Regy
Deuxième rencontre
Où en êtes-vous de ce « cheminement » en poésie ?
Pour ce qui est de ce cheminement, je dirai que la publication de mon premier recueil, « Et je suis sur la terre », aux éditions L’Herbe qui tremble, en janvier 2020, m’a ouvert un passage plus large, plus confiant, là où auparavant je pouvais piétiner, voire renoncer. Laisser paraître, se laisser découvrir, dans une intimité jusqu’alors dissimulée, c’est abandonner une protection devenue inutile. J’écris maintenant plus régulièrement et plus aisément. Participer à une telle publication, c’est aussi entrer dans un dialogue avec l’éditeur qui peut permettre de se connaître soi-même encore mieux. J’évoquerai ici simplement, à titre d’exemple, le choix du titre. J’en avais, pour ma part, choisi un autre, mais Thierry Chauveau m’a d’emblée réorientée vers le titre de la seconde grande section de mon recueil. J’ai pu alors ressentir la manière dont cet éditeur s’était pénétré de mon texte, de son esprit. Au fond, il a senti mieux que moi la direction d’ensemble. Et quand je relis ce titre, je mesure chaque fois ce qui, dans ma propre existence, a été accompli, en partie à travers l’écriture de ces poèmes. C’est là un apport très précieux.
Avez-vous découvert de nouvelles belles choses ? Voulez-vous bien nous en parler, et plus particulièrement de ces partages autour des livres d’artistes ?
Oui, en effet. J’ai poursuivi avec joie des explorations qui m’étaient chères. Je pense tout particulièrement à l’œuvre de Pierre Dhainaut dans sa dimension manuscrite et artistique. Une grande exposition est programmée pour l’année 2021, à Lille, sous la direction de l’un des conservateurs de la médiathèque Jean Lévy, Jean-Jacques Vandewalle, que Pierre Dhainaut m’a proposé de seconder dans cette passionnante entreprise. Les très nombreux manuscrits et livres d’artiste que le poète a réalisés en collaboration avec des peintres, des graveurs ou photographes – Marc Pessin, Youl, Jacques Clauzel, Fabien Giry, Marie Alloy, Caroline François-Rubino, pour n’en citer que quelques-uns – vont donc être exhumés des profondeurs de la bibliothèque pour être révélés au public. La poésie, à mes yeux, ne rayonne jamais aussi bien que lorsqu’elle « entre en échanges », pour paraphraser un titre de Pierre Dhainaut, avec d’autres œuvres… D’une manière générale, elle me paraît indissociable des rencontres amicales qui la nourrissent et nous font avancer.
Racontez-nous alors ce que vous voulez-tout simplement en dire, nous dire, de ces rencontres qui, en fait, peuvent « nous » faire « avancer »…
La toute première de ces rencontres vivantes a été précisément celle de Pierre Dhainaut, dans les années 2000. Entendre un poète parler de sa poésie (et de la poésie en général) de vive voix en s’imprégnant de sa passion et de son engagement (celui de toute une vie) pour la poésie, c’est incontestablement un privilège qui donne un goût différent à la lecture des poèmes. C’est d’ailleurs ce poète qui, un jour, m’a suggéré d’écouter vraiment ce mouvement que je pressentais et qui allait me conduire à publier des poèmes. C’est aussi par l’intermédiaire de Pierre Dhainaut que j’ai rencontré, en 2016, son amie Isabelle Lévesque, avec qui j’ai ensuite entretenu une correspondance. C’est à elle (à sa générosité, à ses encouragements et son soutien sans faille) que je dois d’avoir osé proposer mes poèmes à la publication. Elle m’a également invitée à écrire à ses côtés, sur de beaux papiers, des livres dits « pauvres ». Tout cela nourrit l’élan de confiance en sa propre parole. Disposer d’un espace offert par l’autre sans que les deux voix ne se mêlent ni ne s’altèrent, tout en participant à un dialogue qui s’inscrit dans le sillage d’une photographie ou de simples mots, c’est gagner en écoute, en accord avec l’autre et en respect de soi-même. C’est rendre plus vif le sentiment de l’interdépendance tout en s’affranchissant des contraintes – et parfois de la violence – des échanges ordinaires. Cela me paraît de nature, en tout cas en ce qui me concerne, à fluidifier le poème qui s’écrit déjà dans le corps avant de se risquer sur la page. Ces rencontres peuvent aussi être celles d’artistes. Je pense ici à Caroline François-Rubino, qui a offert aux poèmes d’« Et je suis sur la terre » ses aquarelles si sensibles, et avec qui j’ai aussi partagé de précieux petits livres manuscrits. Je songe également à Bruno Normand, qui m’envoie régulièrement, par amitié, des poèmes inédits, comme si nous pouvions nous rencontrer de manière plus authentique dans des mots qui librement résonnent en se ramifiant. Je suis par ailleurs engagée dans un très beau projet de coécriture avec Florence Saint-Roch. Toutes ces amitiés puisent à une source commune : la quête d’une certaine vérité, celle de l’instant vécu et pleinement partagé, c’est-à-dire, au fond, de ce qui nous relie en deçà de nos peurs et de nos désirs propres. Cela peut naturellement nous mener très loin !