« Le théâtre d’Ise ou la filiation insensée »

Contribution au catalogue d’exposition Ise et perdre le fil, publié par le Musée de la Piscine de Roubaix, 2019.

Extrait de l’introduction

« Pour moi, créer est vital. C’est un besoin urgent et nécessaire. La création m’a sauvée bien des fois dans la vie. » Ce que dit ce théâtre de fil est profondément salutaire : exhumant le fantasme encombrant, il l’universalise dans une langue symbolique, presque tribale, puis le livre au geste du spectateur. Que celui-ci participe à un atelier ou visite une exposition, le voici appelé à faire œuvre avec Ise : « J’aime raconter des histoires et en même temps, j’aime que les gens s’en inventent à travers mes œuvres. » La création acquiert alors son sens ultime, parce que son pouvoir guérisseur n’advient qu’à la faveur de lectures partagées : « Peut-être qu’à la fin de l’histoire, au bout du bout, quelqu’un arrivera à démêler les fils, comprendre le fondement de ces créatures, leur donner une légitimité… dévoilera leur royaume, m’expliquera le sens. »

Au cœur de cette démarche unique, l’interdépendance entre l’auteuoutonr, l’acteur et le spectateur nous offre ainsi l’expérience d’un vertige créateur où nous puiserons ensemble le courage d’affronter nos vides intérieurs afin de vivre ce « profond retournement », cette extase dont tous nous rêvons, quelles que soient nos errances, nos tragédies : « J’ai vu les étoiles, j’ai palpé le ciel, j’ai caressé les mouches et j’ai ri aux larmes, comme c’était bon ! » (2017) »

En regard à l’écoute – La poésie de Pierre Dhainaut à travers ses livres d’artiste

coédité par la Ville de Lille et les éditions Invenit, 2021.

 

Extrait

« Lorsque j’ai découvert l’œuvre de Pierre Dhainaut, j’ai été frappée par l’attention qu’elle accorde à deux postures fondamentales : l’écoute et la respiration. Ainsi s’appuie-t-elle, depuis Le Retour et le chant, sur le socle de toutes les traditions spirituelles, quel qu’en soit le continent : son écriture procède d’un élan d’adhésion toujours renouvelé à la réalité universelle, son flux et son reflux, si loin de nos poings fermés et de nos fiertés singulières !

Cette œuvre majeure s’ordonne autour d’un cœur vibrant : ses livres et manuscrits d’artiste. Avec la ferveur dont il est coutumier, c’est le poète lui-même qui m’a révélé l’existence de ce genre méconnu, en me montrant certains de ces ouvrages dans sa maison dunkerquoise, entourée d’une verdure généreuse. Il s’agit bien du cœur de l’œuvre, à plus d’un titre. D’abord, les poèmes parus en édition courante prennent souvent leur source dans ces livres singuliers ; parfois même, le titre en est repris : par exemple, Entrées en échanges paraît sans les peintures chez Arfuyen en 2005, alors qu’il avait été initialement composé avec Jacques Clauzel en 2002, aux éditions de l’artiste, À travers.

En outre, ces manuscrits et livres d’artiste forment la quintessence de la poésie de Pierre Dhainaut : vingt ans après leur découverte, j’ai mesuré, en les compulsant à la médiathèque Jean Lévy de Lille, la profondeur de leur humanité, dans la louange des échanges ! Tant de titres s’en font l’écho : Au lieu du sens, simplement la confiance, avec Marc Pessin ; Offrir et ne jamais finir, avec Jacques Clauzel ; Voix de l’écoute, avec Caroline François-Rubino ; En toute voix une autre voix, avec Marie Alloy ; Mains qui donnent, avec Youl ; Échanges de souffles, avec Armand Danze…

Des Échanges de souffles, oui. En ce cœur, tous les souffles s’entendent, au sens propre comme au figuré : « Il est très rare que je refuse une demande de collaboration. Le plus important pour moi, c’est de sentir un véritable besoin, une nécessité, de la part de l’artiste. » Cette confidence, les livres la relaient par la qualité d’écoute qui s’y exprime, même si le terme paraît paradoxal pour des œuvres visuelles : « Perdre de vue est un malheur : un malheur plus grave, dit le poème, perdre d’écoute. » (Par la fenêtre ouverte, avec Isabelle Raviolo) Si le regard importe, c’est seulement dans sa fonction d’accueil : aux yeux « de s’éclairer, ils vont / d’abord, ils vont toujours / à la rencontre ». (Vif, limpide, imprévisible, avec Marie Alloy) Pour le poète et l’artiste, il s’agit de s’accorder ensemble, au sens musical : jamais le peintre n’illustre, jamais le poète ne décrit. »